Intervention de Martha Zurita au Conseil Général de la ville de Neuchâtel
Nous célébrons aujourd’hui non seulement un pas vers plus de fraternité entre les humains et une action symbolique menée contre le racisme mais aussi une victoire de la démocratie. À force d’utiliser les outils qu’offre le système démocratique, d’engager des actions politiques et pédagogiques, il est possible de faire évoluer la société et la rendre plus consciente de son histoire passée pour mieux comprendre le monde d’aujourd’hui et se projeter avec espérance vers l’avénir.
Cela fait une année, tout juste que, le 7 juin 2018, le groupe PopVertSol a déposé une interpellation demandant à rendre visible, dans l’espace public, la face cachée, raciste, du scientifique Louis Agassiz en apposant des plaques explicatives concernant les travaux pseudo scientifiques qu’il a menés en vue d’établir une théorie démontrant l’infériorité des populations noires.
Au terme d’un an d’âpres discussions, cette demande a abouti au changement de l’adresse de la faculté des lettres et sciences humaines, ce dont nous nous réjouissons. Rarement une interpellation a suscité autant de débats publics en ville de Neuchâtel, et plus particulièrement au sein même de la communauté académique. À force de séances de travail ardues, de débats animés et de publications exposant les points de vue des uns et des autres sur cette question dans les différents médias, notre proposition a progressivement trouvé une meilleure acceptation dans la population et chez les représentants politiques des différents partis. C’est grâce à cet échange d’idées et de données historiques que nombre de personnes ont revu leur point de vue initial et qu’elles adhèrent à la solution du retrait du nom d’Agassiz sur cette place publique. Le sujet reste cependant hautement sensible comme le montre l’invitation officielle à la cérémonie de cet après-midi pour le changement de la plaque et pour laquelle le conseil communal a évité de mettre en avant le racisme d’Agassiz mais a préféré se focaliser entièrement sur les mérites de Tilo Frey.
La première difficulté que nous avons rencontrée au cours de cette année était celle d’expliquer la différence notable qui existe entre un raciste « ordinaire » et un théoricien du racisme. La deuxième était celle d’expliquer la différence entre « réviser » l’histoire et enlever les honneurs à une personnalité publique. Nous remercions toutes les personnes qui ont fait l’effort d’interroger ces notions et de mesurer la portée du racisme dit « scientifique » par des chercheurs tels que Louis Agassiz, mais aussi, de nos jours encore, par exemple, par le prix Nobel James Watson codécouvreur de la structure de l’ADN auquel les titres honorifiques ont été retirés récemment pour ses propos racistes basés sur des recherches douteuses.
Comme si souvent, la transformation des mentalités passe par l’éducation, l’information, l’établissement et la diffusion de la vérité des faits. Nous tenons à saluer ici le remarquable travail de de recherche mené par Hans Barth et Hans Fässler qui puisent depuis de nombreuses années dans les archives historiques pour révéler les faits justifiant le retrait des honneurs à Agassiz et les diffuser à large échelle. Ils luttent ainsi contre les préjugés, les demi-vérités, les lieux communs et les lectures superficielles de l’œuvre scientifique d’Agassiz qui conduisent à des prises de position peu fondées.
Penser les injustices ne suffit pas, il faut des actes qui prouvent notre volonté la plus forte de faire évoluer des situations intolérables, dans le cas présent : le regard raciste que les humains portent sur certains de leurs congénères. Changer le nom de cette place n’est pas un acte dérisoire, mais renferme une grande portée symbolique. En enlevant à Louis Agassiz l’honneur de prêter son nom à l’une des principales adresses de l’université de Neuchâtel, un signal fort est donné à la communauté universitaire tout entière et bien au-delà. Il rappelle qu’un chercheur porte une plus grande responsabilité que d’autres personnes et que son bagage intellectuel lui impose d’être plus clairvoyant.
L’interpellation du groupe PopVertSol soumise l’année dernière au Conseil communal incluait également d’informer sur le racisme d’Agassiz sur d’autres lieux rendant hommage au chercheur : notamment sous le buste exposé à la faculté de droit et sous le grand tableau accroché au Musée d’histoire naturelle de la ville. Ainsi, nous espérons que l’action d’aujourd’hui en inspirera d’autres allant dans ce même sens et qu’elle encourage ceux et celles qui militent au quotidien contre toutes les formes d’injustice et de racisme.
Merci de votre attention
Martha Zurita